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La cancoillote

dossier établi par des élèves du collège Jean Macé à Vesoul

Depuis plusieurs siècles, la cancoillotte est le fromage d'un grand nombre de comtois. On fait remonter son origine à l'époque gallo-romaine. La cancoillotte aurait donc plus de 2 000 ans d'existence et elle devait figurer sur les tables séquanes et gallo-romaines. Le mot cancoillotte est la traduction littérale du latin concoctum lactem, trouvé dans les écrits romains relatant la prise de la Séquanie (Franche-Comté) en 58 avant notre ère.

Certains historiens fixent à la cancoillotte des origines beaucoup plus récentes, ils situent son apparition au XVIe siècle. Une apparition très hasardeuse d'ailleurs due à une erreur de fabrication. Séduit par cette recette, Nicolas de Granvelle, ministre de Charles Quin l'aurait introduite à la cour de celui-ci.

La cancoillotte était par excellence le fromage du pays comtois sauf dans la haute montagne et sur les plateaux où le lait était abondant et où on fabriquait du gruyère appelé autrefois Vacherin. La cancoillotte est le fromage du bas pays, le fromage des vallées. La cancoillotte est alors appelée fromagère, camoillotte, fromage de femme, fromage de ménage, ou encore fromage gaudot, elle est fabriquée essentiellement dans les fermes.

Pendant la première guerre mondiale (1914-1918), la cancoillotte est mise au point, elle est stérilisée et mise dans des boîtes de fer blanc. Celle-ci seront destinées aux jeunes soldats francs-comtois envoyés au front. Cela jouera un grand rôle dans sa diffusion.

Préparation du méton

Dans des temps très anciens, le lait était déposé dans de grandes écuelles en bois, dans de vastes coquelles de terre ou des terrines vernies venant de Boult (petit village près de Marnay).

Le lait reposant dans ces larges récipients, la crème, qu'on appelaient le paidessus, était délicatement retirée avec des poches à écrémer qui étaient des espèces d'écumoires en cuivre. Ensuite on récupérait de la même façon, ce qu'on appelait le recouraton qui est la seconde crème qui se forme sur le lait reposé. La crème ainsi retirée, le lait restant dans la terrine était abandonné à une acidification naturelle. Pour activer cette acidification, on plaçait le lait dans un lieu à température élevée, 20 à 30°C. C'était autrefois au coin de lâtre, plus tard au coin du fourneau.

Une fois la coagulation obtenue, on employait des procèdés différents selon la quantité à traiter. Si on avait peu de lait caillé, on le plaçait dans un linge formant un sac pendu à une potence quelconque, souvent à lespagnolette de la fenêtre au dessus de l'évier. Le sérum s'égouttait et le caillé faisait un bloc. Si on avait une quantité plus importante, on le déposait dans une bassine de terre que l'on faisait chauffer au bain-marie, à une température allant de 60 à 80°C. La pâte se rétractant sur elle-même finissait par se purger de son petit lait. On l'enveloppait alors dans une toile pour qu'elle continue à s'égoutter, mais dans tous les cas, il fallait la soumettre à une certaine pression pour obtenir un égouttage total et avoir un méton blanc et sec.

Chaque ferme, ou presque, possédait un pressoir spécial dit pressoir à méton. Ce pressoir était composé d'un bâti de bois portant un coffre carré souvrant sur le côté. Le coffre de bois reposait sur un plancher formant un égouttoir, la pression s'exerçait par une grande vis de fer manoeuvrée par une chignole de bois ou de fer. (manivelle qu'on tournait avec la main). La pression éliminait toute l'humidité, et l'on sortait du pressoir un bloc cubique de méton blanc et sec.

Affinage du méton

Les pains de méton blanc devaient être émiettés. Suivant la quantité, le méton était émietté à la main ou broyé dans une râpe à méton. Cette râpe était une sorte de moulin en bois, le méton passait dans une tôle perforée dans laquelle il était réduit en miettes. Émietté à la main ou à la râpe, le méton était placé dans une terrine et recouvert d'un linge et d'une couverture, car il devait être gardé au chaud plusieurs jours. On plaçait donc la terrine dans un coin de l'âtre, plus tard près du fourneau, plus tard encore dans l'étuve de la cuisinière. La légende dit que pour obtenir une température idéale, on plaçait la terrine de méton sous le plumon de la ménagère, l'édredon qui était fait le plus souvent de plumes d'oies.)

Pour parler de l'affinage du méton, on disait aussi son murissement voir même son pourrissement, celui-ci durait plusieurs jours. On disait en patois : (é fô lo rmuyà juskèkà k èl o poâri) (il faut le remuer jusqu'à ce qu'il soit pourri). On reconnaissait qu'il était à point à l'oeil, au doigt et au nez :

D'ailleurs à ce stade, il est interdit de le goûter, on ne peut l'apprécier vraiment, que lorsque la cancoillotte était terminée.

La fabrication industrielle de la cancoillotte

La fabrication industrielle de la cancoillotte date quà partir de la fin du XIXe siècle date où les laiteries, se sont développées partout. Les machines à écrémer remplacent l'écrémage à la main, c'est la que l'on commence à faire du méton industriel. Les laiteries se modernisent, tout est mécanisé, le lait est traité dans des centrifugeuses, les machines à écrémer tournent à 6 000 tours minute. À la sortie des centrifugeuses la crème va directement dans des barattes mécaniques où elle est transformée en beurre, tandis que le lait écrémé passe dans des chaudières où il est caillé, chauffé et séparé du petit lait. À sa sortie, il est égoutté et pressé afin d'obtenir des pains de méton blanc. Ce méton blanc est alors expédié chez les marchands de fromages et dans certain magasins d'alimentation.

Puis la cancoillotte apparaît en bols, elle se vend non seulement en Franche-Comté mais aussi dans de grandes villes tels que Lyon ou Paris. Mais la cancoillotte ne se conserve pas, elle est difficilement transportable, elle s'aigris, moisi, devient rapidement immangeable. Comment est-on arrivé à faire de la cancoillotte un fromage de longue conservation ?

Un de ceux à qui l'on doit la trouvaille est Laurent Raguin, le fondateur de la Cancoillotte Raguin de Baume- les Dames. Pendant la guerre de 1914, comme tant dautres, il est mobilisé. La cancoillotte lui manque. Il demande à sa femme de lui en envoyer. Mais les transports sont lents, la cancoillotte lui arrive moisie, souvent immangeable. Madame Raguin fait alors un essai de stérilisation et la cancoillotte arrive en bon état. À la fin de la guerre Laurent Raguin s'installe à Baume-les Dames et poursuit les essais de sa femme. Par pasteurisation, il parvient au résultat recherché : la Cancoillotte Raguin est née. La conservation enfin réalisée, nous pouvons donc lui associer le nom d'un illustre Franc-Comtois : Louis Pasteur.

La cancoillotte industrielle, née entre les deux guerres, n'a pas cessé de se développer depuis et aujourd'hui quatre entreprises la fabriquent couramment. La fabrication industrielle comprend trois phases :

1) fabrication du méton qui peut s'obtenir par voie lactique ou par addition de présure

Le méton est fabriqué principalement dans quelques grands ateliers, notamment en Haute-Saône où s'approvisionnent les revendeurs et aussi certains fabricants comme Raguin de Baume-les Dames et la Belle Étoile de Franois. Deux entreprises industrielles la laiterie Landel de Loulans les Forges et la coopérative laitière de Rioz fabriquent leur méton quelles transforment en cancoillotte.

Pour 100 litres de lait écrémé on obtiendra entre 6 kg et 6 kg 500 de méton affiné. Il y a deux sorte de méton, le méton lactique et le méton présuré.

Le méton lactique est obtenu par acidification naturelle du lait, sans addition de produit extérieur. Le lait est écrémé par centrifugation, puis mis dans des cuves à des températures comprises entre 25 et 35°C, après le caillage vingt heures après, on brise le caillé et on le chauffe. Le caillé se sépare du sérum et monte à la surface porté par un gaz produit lors du caillage. La cuisson terminée on place le caillé dans des moules munis de toiles et on le presse pour l'égouter, afin de former un gâteau solide.

Le méton présuré est obtenu dans les mêmes conditions que le méton lactique, mais l'addition de présure lors du caillage donne un caillé plus ferme, qui doit être découpé avec un tranche-caillé. L'acidification est moins importante, le goût final plus neutre. En pratique, on mélange 50% de méton lactique et 50% de méton présuré avant la fonte, pour obtenir la cancoillotte.

Après cette fabrication telle quelle vient d'être décrite, les pains de méton sont stockés au froid et même quelquefois congelé (en vue d'un report de plusieurs mois) à -20°C environ.

2) affinage ou pourrissement du méton

L'affinage débute par le broyage des pains de méton dans un moulin mécanique de façon à égrener le méton, ensuite le grains obtenus seront salés. Le sel joue deux rôles, le goût et le développement d'un micro-organisme, favorisant ainsi la fermentation future.

L'affinage proprement dit, s'effectue en chambre chaude, à température variant de 27 à 30°C. Un affinage de bonne qualité dure 24 heures environ. Le méton est mécaniquement remué, les grains deviennent plus collants. Plus l'affinage est poussé, plus le méton a un goût prononcé. Il est ensuite séché et conservé au froid avant d'être fondu, ou vendu en l'état.

3) fonte du méton pour arriver à la cancoillotte.

Après affinage, le méton est fondu en présence d'eau, de beurre, de condiment et de sel, afin d'obtenir une pâte homogène qui est la cancoillotte. Autrefois, le méton était fondu dans des cuves ouvertes, à des températures voisines de 80°C, pendant dix minutes. Actuellement, ce travail est réalisé dans un pétrin automatique qui permet un chauffage plus intense et plus rapide.

Le processus de fonte comprend plusieurs phases dont :

1) le broyage des grains de méton le plus finement possible ;

2) l'addition deau dont la quantité est calculée en tenant compte de la quantité d'eau condensée qui apparaît lors de la fonte ;

3) la fonte par injection de vapeur, la température utilisée étant de 110°C ;

4) l'addition et le mélange du beurre.

5) un léger refroidissement et un brassage qui donnent une bonne consistance de la cancoillotte.

La fonte du méton, même mécanique, demande une grande habitude. Chaque fondeur possède son tour de main se qui lui vaut la réussite de sa fabrication tant pour le goût, que pour la texture et la conservation. La cancoillotte est commercialisée en pots de plastique, elle est coulée sur des machines spéciales qui remplissent les pots au dosage voulu et les ferment automatiquement en inscrivant sur la languette du couvercle la date de limite d'utilisation. La durée de conservation est le plus souvent de deux mois, ce qui laisse une confortable marge de sécurité.

La cancoillotte la plus consommée est celle au beurre et à l'ail, mais on la trouve également au vin blanc. Il serait difficile de donner un recette à base de cancoillotte, chaque maîtresse de maison à la sienne, mais nous connaissons tous les traditionnelles tartines de cancoillotte et les patates à la cancoillotte.

Alors Bon Appétit...

Et puis une chanson du Franc-comtois Hubert Félix Thiéfaine sur la cancoillotte, bien entendu.

Grégory Cwiklinski

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