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Comment la révolution informatique n'a pas eu lieu

par Claude Lavigne



«Les choses ont commencé à mal tourner quand le PC est arrivé en ville, et que la révolution informatique des années 80 s'est écrasée. Nous sommes ici pour corriger ça.»

Ceci est l'entrée en matière du communiqué de presse annonçant le rachat, par d'ex-employés d'une grosse corporation, des droits sur un système informatique qui poussait cette révolution.

Notre vieille planète voit ses jeunes habitants humains de plus en plus mal partager les richesses et ressources entre eux. Les premières conséquences de la mondialisation de l'économie sont connues, les exemples de fusions entre mega- compagnies abondent, les dangers de telles concentrations sont évidents, et la conscience collective se développe face à et pour contrer ces phénomènes. Je vous envie un peu d'ailleurs vous les gens d'Europe (je suis du Québec), où le Commerce Équitable est plus développé qu'ici.

C'est en effet un moyen magistral d'avoir une influence, de tenir le pouvoir. Attendu que la cupidité mène le monde, enlevons leur jouet à ceux qui en veulent toujours plus: quand vous achetez du café équitable, vous votez avec votre argent, vous enlevez son jouet à une entité qui voudrait bien tout avoir. Et vous en donnez en même temps à quelqu'un qui en manque.

Je veux vous parler d'informatique équitable. Drôle de concept? En fait c'est le concept d'équité qui est de plus en plus absent de notre monde, alors qu'il devrait être présent dans chaque action posée, chaque transaction effectuée. Je m'attache à l'équité en informatique à cause de la puissance potentielle de l'outil, puissance dont tout le monde est privé parce qu'elle est irréalisée.

Un marteau pour enfoncer une vis

L'ordinateur est l'outil idéal pour ramasser et traiter l'information, c'est une définition sur laquelle tout le monde sera d'accord. L'information est l'étincelle qui déclenche l'action, l'information est le matériel qui dirige l'action, c'est le fluide vital de la démocratie. Il faut donc que l'information circule librement.

N'importe quel ordinateur, peu importe qui l'a fabriqué et qui a écrit le logiciel qui y tourne, devrait pouvoir acquérir et traiter l'information, sans égard au contenu ou au format. Un document produit sur n'importe quelle machine devrait pouvoir être vu et traité sur n'importe quelle autre machine. Par exemple n'importe quel logiciel de traitement de texte devrait pouvoir ouvrir un document produit par n'importe quel autre traitement de texte. L'informatique devrait permettre ça, mais je peux vous assurer (et vous avez peut-être constaté) que ce n'est pas le cas. Autrement l'ordinateur personnel serait véritablement un outil démocratique, vous auriez le pouvoir, et certaines grosses corporations ne l'auraient pas.

Notez que les capacités techniques sont là. On n'a pas à attendre la prochaine génération de processeurs. Tout ce qu'il faut est là. Pourquoi on est encore pris avec un paquet de systèmes différents et incompatibles entre eux, qui ne peuvent se parler?

Tout est incompatible d'une plateforme à l'autre, de l'agenda personnel au super-ordinateur. Et souvent même d'un logiciel à l'autre sur la même plateforme. Si on réduit notre champ de vision à la micro-informatique, non seulement on constate la même incompatibilité, mais on trouve un coupable: Microsoft.

On creuse

Pas besoin d'être guru de l'informatique pour avoir observé le partage entre les différentes plateformes du marché en micro-informatique: +90% PC (compatibles IBM), -10% le reste (Apple, Amiga, Linux, Atari ... ) Microsoft a escroqué le pouvoir sur le PC, mais avant même leur mainmise, IBM a bien joué ses cartes pour implanter ses machines.

Les compatibles IBM ont pris toute la place pour les mêmes raisons que les fusées d'appoint de la navette spatiale américaine sont juste un peu plus large que 2 chevaux de l'Empire Romain: il ne faut pas casser les roues du chariot.

Les Romains d'il y a 2000 ans ont fait beaucoup de routes dans toute l'Europe, et leurs chariots de troupes creusaient des ornières dans ces routes. Les chariots de tout le monde après devaient avoir la même largeur sous peine de casser leurs roues dans ces ornières. Les constructeurs des premiers tramways ont utilisés les mêmes gabarits et outils qu'ils avaient pour les chariots, les constructeurs de voie de chemin de fer Anglais ont utilisés les mêmes gabarits et outils que les constructeurs de tramways. Et ont exporté ce même loufoque gabarit de 4 pieds 8 pouces et demi en Amérique. Il reste à savoir que les fusées d'appoint de la navette sont livrées par rail, via un tunnel pas beaucoup plus large que la voie...

IBM, alors constructeur d'ordinateurs d'affaires gros comme des maisons, voulait profiter de la révolution informatique de la fin des années 70: l'ordinateur personnel se développait. Ce qui les a décidés était sans doute le très populaire Apple ][, une petite machine très souple pouvant être adaptée aux besoins par des cartes d'extension. IBM a donc mis au point son Personnal Computer (PC) en s'assurant de faire une machine peu puissante, ne menaçant pas leur marché des gros ordinateurs. Il fallait que ce soit conçu rapidement et sans vision, on a donc utilisé des composantes déjà dépassées à l'époque, ce qui imposait au niveau matériel même des limites qui hantent la plate-forme à ce jour.

Les gestionnaires de tous acabits, enivrés par les promesses de IBM, et ne sachant pas qu'un ordinateur pouvait être tellement mieux, se sont jetés là dessus. Après tout, c'était écrit IBM sur le capot, ça ne pouvait pas être mauvais! Et ça a continué jusqu'à aujourd'hui avec les "clones", copies compatibles de la machine. Parce que c'est donc compliqué ces machines là, ces gars là doivent savoir de quoi ils parlent quand ils disent que c'est ce qu'il y a de mieux, et de toutes façons je ne risque pas le congédiement en achetant du IBM ou une copie.

'Faut pas casser les roues du chariot.

Tous les chemins...

Qui dit ordinateur, dit Système d'Exploitation [SE]. C'est le signal d'entrée de Microsoft. Le SE, c'est le logiciel qui détermine le fonctionnement de base de la machine, qui sert d'intermédiaire entre le matériel et le logiciel qu'on y fait tourner. IBM avait besoin d'un SE pour son ordinateur personnel fait vite-vite, et aucune compagnie ne voulait en écrire un. Ils se sont donc tournés vers Microsoft qui a acheté d'un petit programmeur de sous-sol un mauvais clone de CP/M (un SE déjà en usage sur d'autres machines) et l'a revendu à IBM. C'est ce que IBM vendait sous le nom PC-DOS (Disk Operating System) et ce sur quoi Microsoft a bâti son empire, le vendant sous le nom de MS-DOS aux fabricants de clones (les copies du IBM PC).

C'est à ce moment qu'on a tous commencé à se faire fourrer, c'est à ce moment que l'escroquerie du siècle a commencé. Des détails?

Tout le monde ne vivant pas dans une grotte des Himmalayas a entendu parler du procès intenté par le Département Of Justice [DOJ] des États-Unis contre Microsoft, les accusant d'entretenir et de profiter illégalement d'un monopole. Voici un résumé du fond de l'histoire, une partie de ces faits n'ayant pas été exposés au procès.

La méthode de marketing de Microsoft, ce n'est pas de faire le meilleur produit possible pour gagner sur la concurrence, c'est d'éliminer la concurrence. C'est même une méthode de programmation, ce qui est un des facteurs expliquant la lourdeur intolérable de Windows.

Déjà bien avant la sortie de Windows95, Microsoft avait mis au point ses méthodes: ils ont réussi à éteindre la popularité de DR-DOS, un SE compatible à MS-DOS mais de beaucoup supérieur, offrant entre autres le multitâche. La méthode est simple. Les fabricants d'ordinateurs aiment bien fournir des applications déjà installées, pour augmenter la valeur de leur produit. Microsoft a simplement lié des licences à très bon prix pour ses propres applications Word et Excel à l'achat d'un même nombre de licences MS-DOS, faisant spécifier aux contrats que le fabricant ne pouvait ni acheter ni installer un autre SE. Une pierre 2 coups: ils éliminaient DR-DOS du marché et faisaient mal à Borland et Lotus, concurrents dans la fourniture d'applications. Même si un contrat n'excluait pas nommément un concurrent, le fait que le fabricant devait payer un droit de licence sur chaque machine vendue, que MS-DOS y soit installé ou non, excluait tout concurrent.

Après une campagne de mensonges auprès de la presse et des testeurs, entre autres avec de faux messages d'erreurs faisant craindre des incompatibilités, Microsoft a codé Windows 3.1 pour mal fonctionner lorsqu'installé sur DR-DOS plutôt que sur leur MS-DOS. Et bien entendu l'éditeur de DR-DOS était exclu des programmes de tests. Caldera, l'actuel propriétaire de DR-DOS, a obtenu des documents prouvant ce genre de tactiques dans le cadre de sa poursuite contre Microsoft, parallèle à celle du DOJ.

Windows3.1 était une interface graphique (fenêtres, icônes, souris) pour MS-DOS. D'autres interfaces graphiques plus simples et plus puissantes auraient pu être proposées par d'autres éditeurs, installables sur MS-DOS ou autres SE comme DR- DOS. Le premier effort de Microsoft pour éviter ce grave danger fût d'utiliser sans fondement le terme Système d'Exploitation pour décrire Win3.1 dans toutes leurs communications, dans le but de convaincre les gestionnaires mal informés (...pourquoi j'ai l'impression de faire un pléonasme?) qu'ils n'avaient besoin de rien d'autre. Et ils ont définitivement réglé le problème en imbriquant MS-DOS dans Windows95, éliminant les concurrents et tout progrès possible.

Il n'y a évidemment pas de raisons d'arrêter de si payantes pratiques, et le manège a bien sûr continué de tourner pour Win95. Microsoft se défend bien d'avoir des contrats d'exclusivité avec les fabricants: les licences spécifient simplement que le fabricant ne peut altérer ni l'apparence ni le processus de démarrage de Windows. Un fabricant pourrait en effet installer en usine un autre SE et offrir un choix à l'utilisateur, au démarrage de la machine. Et couic. On ne peut modifier la séquence de démarrage, et il le faudrait pour offrir ce choix.

Plein d'autres jolis trucs que je vous donne en vrac:

Faire un prix irrésistible pour l'installation en usine de la suite Office, ce qui revient pour l'usager à l'obtenir gratuitement. L'utilisateur ne déboursera pas pour une meilleure application concurrente, on devient le standard établi, et on n'a qu'à changer (sans publier les specs) les formats de fichiers à la prochaine version pour forcer l'usager à acheter à prix fort la mise à jour.

Rendre la programmation d'une application tournant sous Windows tellement tortueuse qu'à peu près rien du code ne pourra servir pour porter cette application vers d'autres SE. Alors les meilleurs outils développés seront exclusifs à Windows, et inexistants sur les autres plate-formes parce que trop difficiles à transcrire.

Faire croire que le fureteur Web Explorer est intimement lié au SE, pour essayer de faire disparaître un autre concurrent, Netscape. Bien entendu on installe Explorer sans rien demander à personne, on rend sa désinstallation périlleuse et interminable parce que son installation a remplacé des composantes du SE que nous seuls pouvons remplacer. Et exigeons des éditeurs d'autres programmes, pour leur accorder la certification de compatibilité Windows, d'écrire leur fichier d'aide dans un format que seul Explorer peut lire, même si ce format n'a rien à voir avec le Web.

S'approprier à tout prix les langages de programmation ou tout autre standard permettant au même code de tourner sous plusieurs SE. Java est conçu précisément dans ce but. En le dénaturant suffisamment pour le rebaptiser J++ et en appliquant nos tactiques habituelles, au prix d'une poursuite de Sun (l'inventeur de Java) pour bris de licence, on forcera tout le monde à produire du code Java qui ne tournera que sous notre SE au lieu d'être multi plate-forme comme il se doit. Ce sera une façon de tenter de s'approprier Internet que notre total manque de vision nous a empêché de voir venir.

Bon, attachez moi. Vous devinez que je pourrais à moi seul emplir ce magazine de détails saignants. Documentés, veuillez noter, je n'invente rien. Peut-être êtes- vous de ceux qui ne voient en Microsoft qu'un joueur habile avec les "lois du marché"? Si l'escroquerie du siècle ne vous dérange pas, considérerez-vous les performances exécrables de ces produits?

Des ornières très profondes

Je travaille sur un ordinateur de 8 ans. Ce n'est ni un PC ni un Mac, je n'utilise aucun produit Microsoft. Son SE a été conçu en 1992 (je n'ai pu profiter des récentes mises à jour), avant donc que les composantes courantes ou même l'internet soient populaires. Et pourtant j'ai pu ajouter toutes ces composantes matérielles ou logicielles sans problèmes, parce que ce SE a été conçu de façon généreuse pour me laisser choix et pouvoir. Ce SE ne se corrompt pas tout seul en usage normal, ce qui fait que je n'ai jamais eu à le réinstaller. Jamais, en 8 ans. Et cette machine en a vu des programmes passer, installés et désinstallés sans laisser de traces. C'est une machine qui dans la générosité de sa conception me laisse la pousser là où elle n'est pas sensée aller.

Le plus étonnant, c'est qu'avec un "vieux" processeur de 25 Mhz, j'ai une machine plus rapide et plus souple qu'un PC de 500Mhz sous Windows. Entendons nous, les opérations lourdes (imprimer en haute résolution un page chargée, traiter de très grosses images) révèlent l'âge et la faible vitesse absolue du processeur, mais j'arrive tout de même à en faire plus dans une journée sur ce vieux machin que sur un PC tout neuf, dans moitié moins de mémoire et d'espace disque.

Pour vous donner une idée de la puissance gaspillée par Windows, faites l'expérience suivante: faites tourner une tâche (assez lourde pour pouvoir mesurer, mettons le rendu d'une image de synthèse) en double. Autrement dit, vous démarrez le même programme 2 fois en même temps. Sur un système qui se tient, l'expérience prendra le double du temps (ou un peu moins, c'est possible) qu'une seule des tâches prendrait. Sous Windows, vous mesurerez entre 2.5 et 3 fois le temps qu'une seule des tâches prendrait. Et une des tâches finira avant l'autre!

Les routines de gestion de mémoire virtuelle de Windows (une partie du disque servant de RAM quand la machine en manque) laissent plus qu'à désirer. Un bon système de mémoire virtuelle devrait pouvoir accélérer la machine, c'est le contraire qui se produit sous Windows. Et les méandres que les programmeurs doivent faire suivre à leur programme, parce que Microsoft fait tout pour que le code tournant sous Windows soit le moins portable possible, n'ont rien pour améliorer les performances.

Bref vous êtes pris avec un SE qui n'a pas été conçu pour être élégant et performant, mais bien pour être difficile à cloner et pour garder captive sa clientèle. Même le multitâche, essentiel aujourd'hui, n'a jamais fait partie des critères de conception.

Parce qu'il ne faut pas casser les roues du chariot, tout le monde a continué d'acheter une plate-forme traînant les limitations qu'elle avait déjà en 1980. De bonnes pratiques de programmation font abstraction du matériel sur lequel un logiciel, tourne pour pouvoir laisser ce matériel évoluer. Mais Microsoft n'a pas de bonnes pratiques de programmation et a gardé son SE étroitement lié au matériel de 1980, empêchant son évolution. Des symptômes de ces limitations sont le fait qu'un PC de 500Mhz devient inutilisable le temps que le floppy ou le port parallèle sont occupés: essayez de faire autre chose pendant que vous formattez une disquette ou que vous imprimez un gros fichier, vous verrez ce que je veux dire. Les longues explications qu'on doit donner à la machine pour lui expliquer qu'elle a plus que 640K de mémoire font aussi partie de cet héritage.

C'est aussi pourquoi vous avez un problème quand Windows ne démarre pas. Vous vous retrouvez sur une machine de 1980, amnésique et ne répondant qu'à d'obscures commandes DOS, plusieurs ne pouvant être utilisées que dans les script de démarrage. Elle ne sait rien des périphériques ou cartes d'extensions que vous y avez branchés. Elle ne voit même pas la souris et surtout pas le CD-ROM dont vous avez besoin pour réinstaller.

Un ordinateur évolué configure ces extensions de lui même en s'allumant, simplement en leur parlant ("t'es un petit qui, toi? et tu fais quoi dans la vie? bon ok, voilà où tu habiteras dans mon espace."). Et en cas de problème majeur vous présente un environnement très proche de ce que vous connaissez, dans lequel vous pouvez réparer vous-même.

Par exemple sur ma vieille machine de 8 ans, quand le démarrage brise, je me retrouve comme d'habitude dans une fenêtre avec une souris qui fonctionne, et d'où je peux arranger les choses avec les mêmes connaissances utilisées quand la machine fonctionne normalement. La machine voit en s'allumant toute la mémoire installée, quelles cartes d'extension sont branchées, lesquelles fonctionnent ou non.

Donc on est pris avec un standard désuet, parce que tout le monde voulait ne pas casser les roues du chariot. Soyons clair: ce standard fonctionne, et même assez bien. Les produits Microsoft sont pleins d'air, mais ça fonctionne malgré tout, et c'est même pas mal puissant. Une fois qu'on a appris à bien s'en servir. Et malgré les limitations que la plate-forme traîne depuis sa conception, c'est pour ce matériel qu'il s'écrit le plus de logiciels, qu'il s'invente le plus de nouveaux périphériques, vendus à bas prix grâce aux grands volumes de fabrication.

Ce que je veux vous faire voir, c'est que ça devrait être encore plus fantastique. Si la révolution informatique n'avait pas été arrêtée par IBM, Intel et Microsoft, votre ordinateur pourrait sans doute vous entendre penser. Bon, j'exagère un brin, ça prendrait un implant cérébral qui n'est pas au point encore.

Ça devrait être encore plus facile, vous devriez pouvoir ajouter un nouveau bidule sans remplacer tout le reste. C'est possible, je le fais sur ma vieille machine. Vous devriez pouvoir intégrer une nouvelle composante au SE, qui n'existait pas quand ce SE a été écrit, sans payer pour une nouvelle version du SE qui demandera elle aussi un machine plus puissante. C'est possible, je le fais sur ma vieille machine. Vous devriez pouvoir comprendre, configurer, utiliser, et réparer votre ordinateur sans faire un doctorat, en applicant partout les mêmes principes de base, à l'aide d'une interface constante qui ne change pas du tout au tout au moindre clic. Des briques de 700 pages intitulées "les secrets de..." ne devraient pas exister.

En un mot, vous devriez avoir le pouvoir sur votre ordinateur. Elle devrait fonctionner comme vous le voulez, non pas comme quelqu'un d'autre a décidé que vous le vouliez.

On sort des ornières?

Pour que la révolution continue, il faut que vous imposiez le changement. Il faut que vous enleviez le pouvoir à ceux qui ont arrêté la révolution. Il y en a beaucoup, mais la première cible est Microsoft. C'est cette corporation qui vous a le plus évidemment escroqué le pouvoir.

Vos choix d'actions? Faire rouler votre chariot en dehors des ornières. Il faudra faire attention aux intersections. Le roulement sera plus doux, vous prendrez soin vous-même de votre chariot, il vous coûtera moins d'avoine, l'échappement sera moins abondant. Mais vous aurez un peu plus d'effort à faire sur certaines routes. Certes, l'action que vous entreprenez pour reprendre le pouvoir demandera un effort.

La première alternative qui vient à l'esprit est le MacIntosh. C'est un ensemble matériel et SE très distinct des PC. Mais je pense que malheureusement vous avez encore moins de pouvoir sur cette plate-forme qu'ailleurs. Vous vous souvenez sans doute que Apple présentait ses machines comme l'ordinateur pour ceux qui n'aiment pas les ordinateurs ("The computer for the rest of us"). C'est tout à fait vrai. Le système est conçu pour isoler complètement l'utilisateur de la technique. La philosophie est "vous n'avez pas besoin de savoir, vous ne voulez pas savoir". Alors quand quelque chose ne fonctionne pas comme prévu, ça donne souvent des messages d'erreur comme "une erreur est détectée parce qu'une erreur est détectée". Vous ne voulez pas savoir.

Parce que la révolution informatique s'est arrêtée et que un ordinateur c'est encore bien compliqué, le Mac est la solution pour bien du monde. C'est très bien quand ça marche et ça marche tant qu'on est pas trop aventureux, mais quand ça flanche c'est pire qu'ailleurs. Il y a bien quelques briques "les secrets du Mac" mais l'usager a acheté un Mac au départ pour se tenir loin de ces briques.

Les logiciels publiés pour cette plate-forme sont suffisamment abondants, couvrent pas mal tous les besoins et sont de très bonne qualité. Beaucoup de logiciels sont publiés parallèlement pour PC et pour Mac. Le Mac s'est spécialisé en travail graphique et pré-impression, les outils dans ce domaine sont puissants et "clés en main".

Mais la plate-forme est sous le contrôle exclusif de Apple, ce qui réduit la quantité (et augmente le prix) des périphériques disponibles. J'ai eu de grands espoirs quand Apple a permis à d'autres compagnies de construire des "compatibles Mac", mais Apple s'est vite ravisé et a rappelé toutes ces licences. En écorchant ses associées au passage, y compris Motorola qui lui fournit les processeurs animant les Macs (le PowerPc, processeur autrement plus évolué que le Pentium d'Intel qui ne fait depuis longtemps que rajouter des bouts de silicone au déjà monstrueux 80386) ce qui donne une étrange symbiose entre ces 2 compagnies, par les temps qui courent.

MacOS (le SE tournant sur le Mac) n'est pas aussi évolué qu'il pourrait l'être sur ce matériel, encore lourd et n'offrant pas encore un véritable multitâche. Mais la prochaine version promet.

Et il ne faut pas perdre de vue que Microsoft a investi dans Apple, pour tenter d'éloigner le spectre de l'inquisition anti-monopole.

Une autre alternative qui gagne en popularité est Linux. C'est un SE qui s'installe sur tous les matériels (PC, Mac, Amiga, ect) et pour lequel les logiciels qu'on veut faire tourner doivent bien sûr être écrits, comme pour tous les SE. La beauté de Linux est le concept Open Source (source publique?). Le SE entier est un effort collectif et communautaire, ce qui implique que le code de chaque module ou composante du programme est accessible et modifiable par tous. La beauté et la puissance d'une communauté, dont vous faites partie dès que vous installez et utilisez Linux. Vous pourriez obtenir tout ce qu'il vous faut gratuitement, mais des ensembles préparés, incluant routine d'installation facile, sont offerts à prix très raisonnables par plusieurs compagnies.

Les ombres au tableau sont nombreuses mais vont vite disparaître, tellement ce SE progresse rapidement. Au point d'ailleurs de faire très peur à Microsoft, qui voit son hégémonie sérieusement menacée. L'origine même du mouvement Linux est d'ailleurs une très forte tendance anti-microsoft.

Le premier obstacle est l'anti-convivialité du SE. Linux est un descendant direct de Unix, un SE tournant sur des ordinateurs gros comme des maisons. La grande majorité des machines formant Internet tournent sous Unix ou Linux (au grand dam de notre copain Microsoft qui voudrait bien s'approprier ce marché très lucratif). C'est un SE très puissant en réseau, offrant souplesse, configurabilité et grande sécurité (droits d'accès de chaque usager). Mais toute cette puissance et souplesse est accessible du shell (ligne de commande) via des commandes tout à fait cryptiques et comportant souvent un série de paramètres longue comme le bras. Une fois le système monté, on peut par contre présenter à l'usager une interface graphique tout à fait conviviale. On a même le choix entre plusieurs, y compris des clones de l'interface graphique de Windows. Et ces difficultés de configuration seront sûrement aplanies bientôt, le génie collectif étant à l'oeuvre.

Le deuxième obstacle est la disponibilité des pilotes de périphériques. Vous devez en effet vous assurer que chaque composante (carte de son, carte vidéo, ect) de la machine où vous installerez Linux aura le pilote lui permettant d'être gérée. C'est un obstacle qui disparaîtra très vite, et déjà beaucoup, beaucoup de machines ont déjà été converties de Windows à Linux.

Côté applications, l'essentiel est disponible, par exemple l'ensemble de logiciels de bureautique Office de Corel est déjà paru. Et la liste de logiciels tournant sous Linux s'allonge à une vitesse faramineuse. Ne comptez évidemment pas sur Microsoft pour porter sa suite Office, ils ne pourraient plus modifier leurs format de fichiers comme bon leur semble, et il leur faudrait publier leur code source!

Linux est populaire au point que vous pourriez sans doute acheter un PC tout neuf avec ce SE installé et fonctionnel. Certains grands fabricants en offriront bientôt, et vous pourriez trouver un petit constructeur dans votre coin, la petite boutique achetant ses pièces ici et là pour assembler les machines, qui serait prêt à tenter l'aventure. Il s'agit simplement d'en trouver un moins paresseux, qui aimerait combattre avec vous la grande niveleuse.

D'autres variantes "publiques" de Unix sont disponibles pour la plupart des architectures, par exemple netBSD et freeBSD. Mais là vous avez affaire à un Unix pur et dur, avec tout de même les mêmes moteurs d'interface graphique. Je n'ai pas connaissance de kits d'installation offerts commercialement.

D'autres SE encore sont disponibles pour plusieurs plate-formes, y compris et d'abord pour PC et Mac.

BeOs est assez récent et commence à se tailler une niche en audio. Quelques très bonnes applications spécialisées dans ce domaine sont écrites pour lui, ainsi que les applications principales en productivité, graphisme, programmation et utilitaires. Vous pouvez depuis Mars 2000 télécharger gratuitement la version personnelle de BeOs, qui s'installera et démarrera facilement de Windows. Windows disparaîtra pour la durée de la session, et vous pourrez alors constater combien est réellement puissant votre PC. BeOs est aussi disponible pour l'architecture Mac PowerPc, ce qui représente une solution pour qui souffre de claustrophobie sous MacOs.

Il y a aussi NewDeal qui vous propose des ensembles intégrés, à installer sur MS-Dos - ou DR-DOS! Il y a les suites NewOffice, NewWeb et quelques autres titres. Ce sont des ensembles très bien programmés, offrant les fonctionnalités de base pour le bureau ou internet dans un environnement graphique très semblable à Windows. Ces logiciels sont programmés avec attention pour pouvoir tourner sur les ordinateurs qui sont jetés à pleine porte parce que pas assez puissants. Un "vieux" 286 avec un disque de 10 ou 20 Megs suffit! Une autre démonstration éloquente du travail bâclé de Microsoft. Ces logiciels font le bonheur des écoles et organismes sans budget, qui ne peuvent suivre le rythme effrené achetez-jetez imposé par le grand cirque Intel-Microsoft.

Par contre personne en dehors de NewDeal ne semble écrire pour leur SE, basé sur le moteur graphique Geos, assez connu dans le milieu mais maintenant orienté sur les communications sans fil. Alors, bien que les ensembles proposés par NewDeal soient bien évolués et très utilisables, vous devez vous passer du dernier truc à la mode et du bonbon propriétaire qu'on peut trouver sur le web, du genre RealAudio et ShockWave. Il n'est pas dit que ça ne sera jamais disponible, NewDeal améliore continuellement ses produits.

Un autre système à considérer est l'Amiga. La machine de 8 ans dont je me sers, et le système qui poussait la révolution des années 80 dont je vous parlais au début de ce papier, c'est l'Amiga.

C'est une machine sans fabricant corporatif depuis 1994, qui a survécu grâce à son SE extraordinaire et une communauté d'utilisateurs et programmeurs tricotée serré. De nouveaux logiciels et cartes d'extension sont encore produits pour la machine, mais un Amiga moderne coûte un peu plus qu'un Mac et pas mal plus qu'un PC, à cause des petits volumes de fabrication.

Tous les logiciels courants sont disponibles et de grande qualité, moins cher que pour les autres plate-formes pour le commercial, et en abondance pour le partagiciel. C'est d'ailleurs la plate-forme pour laquelle il se publie le plus de ces logiciels libres, la communauté tricotée serrée compensant amplement pour les éditeurs commerciaux ayant déserté le trop petit marché. Le bonbon propriétaire, moins vital, comme RealAudio et autres sont plus difficiles à utiliser. On peut par contre émuler le Mac facilement à cause du processeur Motorola commun aux deux architectures, ce qui donne accès au logiciel qui pourrait manquer du côté Amiga de la machine. On peut aussi émuler un PC avec une grande pénalité en vitesse, puisqu'il faut tout traduire pour un processeur différent. Mais imaginez ça: 3 plate-formes sur la même machine, 4 si on installe aussi Linux: c'est bien ce qui se rapproche le plus d'un outil universel, en attendant que l'information puisse circuler librement.

Un peu comme BeOs en audio et le Mac en graphisme, l'Amiga s'est taillée une niche, en graphisme et vidéo. Sûrement parce que en 1985 son architecture d'avant garde offrait milliers de couleurs, animation, sortie video synchrone et son stéréo alors que le reste du monde était monochrome. En particulier avec le Video Toaster qui a lancé la "desktop video", en offrant $400,000 de bidules video sur une carte de $3000. Son descendant, le Flyer, offre en plus l'édition numérique non-linéaire sur disque dur. Curieusement, la version de ces merveilles pour le vieux Amiga offre des effets spéciaux temps réel que les versions pour autres plate-formes n'ont pas.

Depuis la banqueroute par imbécilité de Commodore, son fabricant original qui l'avait acheté de la bande de génies généreux l'ayant conçu, l'Amiga a continué d'évoluer avec le reste du monde informatique, son SE âgé mais génial lui permettant de tout intégrer facilement. Une nouvelle génération de machines pourra sous peu être construite autour du BoXer, carte mère réunissant tous les éléments nécessaires dans un ensemble rajeuni et plus rapide que l'original. Et les nouveaux propriétaires de la plate-forme nous promettent de relancer la révolution informatique avec une refonte complète de l'architecture et du SE dans l'esprit qui a fait de l'Amiga "l'ordinateur qui ne veut pas mourir".

Comme pour Linux et BeOs, c'est à surveiller de près.

Comme dernier plan d'action, si vous ne pouvez vous passer de Windows, je vous propose de tâcher d'utiliser les logiciels concurrents à Microsoft. La suite Office de Corel par exemple, est à plusieurs égards très supérieure à MS Office. WordPerfect entre autre, qui est de beaucoup préférable à Word pour les gros documents, disent les rédacteurs professionnels. Et cette suite vous offre un solliciteur de fichiers qui vous fera haïr (si ce n'est déjà fait) celui de Microsoft.

Sachez que les logiciels concurrents peuvent ouvrir les fichiers produits par ceux de Microsoft, et l'inverse est vrai même si Microsoft réussit à faire croire que seuls ses produits existent. Autrement dit WordPerfect peut facilement ouvrir un document Word, et Word peut ouvrir un document WordPerfect si on lui demande poliment. La majorité des utilisateurs de MS-Office ne le savent malheureusement pas, vous pourriez les aider à allumer en leur fournissant des formats de fichier étranges.

Lève-toi et marche

Ben voilà, ce sont les alternatives qui s'offrent à vous si vous voulez contribuer à redémarrer la révolution informatique. Imaginez une vraie libre circulation de l'information, imaginez une libre PRODUCTION d'information. L'outil informatique pleinement réalisé pourrait y concourir, on en a malgré tout un aperçu.

Un joli exemple est l'échec récent de l'Accord Multilatéral sur l'Investissement, outil suprême désiré par les bonzes de la mondialisation, simplement parce que le texte de l'accord a été coulé sur le Web. En langage HTML, standard établi -et multi plateforme- que personne n'a réussi à s'approprier encore.

N'attendez pas l'issue des procès en cours pour avoir l'information, Microsoft essaie de régler hors cours pour pouvoir cacher ses bons trucs. C'est ce qu'ils ont fait avec Caldera. Ne me servez pas non plus l'argument "Microsoft ne fait pas un sou avec moi, je pirate tous leurs logiciels": le piratage ne fait que contribuer à établir leurs produits comme standard incontournable.

VOUS avez le pouvoir de changer les choses, en faisant VOS choix, une action à la fois. C'est moins facile que de laisser le contrôle aux pouvoirs en place. Vous vous dites peut-être "je ne peux changer ça à moi tout seul, si personne d'autre ne bouge". Alors dites vous aussi que vous ne pouvez pas demander à votre voisin de bouger si vous ne faites rien.

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